vendredi 15 février 2013

Brazil


Titre

Brazil

Scénaristes

Charles McKeown, Tom Stoppard, Terry Gilliam.

Commentaire

Un ovni cinématographique qui confronte absurde, rêve et cauchemar dans une parodie d'un monde administré devenu une dictature, sombre et poussiéreuse, à l'opposé du fantasme brésilien. Dans ce récit, qui confronte donc la sensualité de la musique brésilienne et la froideur de l'autorité, Sam Lowry, fonctionnaire, subit une erreur de procédure qui l'amène à défier l'état totalitaire. Le spectateur, comme le personnage principal, tente de fuir une réalité imposée. Pour le héros, le piège se referme sur lui. Mais pour le spectateur aussi, le récit, cousu de deus ex-machina, se referme. Une oeuvre qui défie les règles de la dramaturgie mais qui reste heureusement soutenue par l'ironie et le génie inventif de la mise en scène.

1) Points forts
La mise en scène spectaculaire (qui précède à peine notre ère tout-à-fait numérique) est incroyable, à l'image d'un show des années 80 orchestré par Jean-Paul Goude, en plus grandiose. On y retrouve des décors carton-pâte démesurés, aux lignes et aux couleurs très pures et tranchantes, telles les décisions arbitraires de l'administration dont le récit fait brillamment l'objet. On retiendra aussi l'idée géniale de transposer la lourdeur et l'absurdité des connexions et des procédures administratives de la dictature dans les canalisations et les tuyauteries dont les connexions apparaissent également aussi invraisemblables tant elles débordent de toutes les cloisons et entrent jusque dans les endroits les plus intimes de la civilisation. Un travail important sur le décor a été effectué pour qu'il réponde au sujet du film. La scène finale de la torture tient même lieu dans une cheminée de centrale électrique, le comble du cauchemar sans doute pour l'idéaliste qu'incarnent notre héros et son auteur. On admirera aussi les influences croisées de ce récit qui s'est probablement inspiré des oeuvres de Welles (Le procès de Kafka) et du livre 1984 d'Orwell. Inversement, Brazil semble à son tour avoir inauguré d'autres mises en scène, comme : Minority report (les hommes de main qui sortent d'on ne sait où pour embarquer les hors-la-loi), Retour vers le futur (domotique au réveil du petit matin qui part en vrille et révèle la situation générale d'un système également défaillant), le spectacle d'ouverture des J.O de Londres (où les tours sortent de terre comme les taupes d'une taupinière).

2) Points faibles
La succession répétée de deus ex-machina sensée aider à développer le côté onirique et surréaliste de l'oeuvre fait parfois perdre le fil du récit au spectateur. C'est sans doute intentionnel, mais cela dessert l'oeuvre qui peut apparaître longue ou incontrôlée. L'objectif du héros n'en demeure en effet pas très clair. Il devient amoureux, mais il n'a pas d'enjeu à le devenir. Il est victime d'une erreur de procédure, mais il ne semble rien gagner à lutter contre celle-ci puisqu'on lui offre au contraire une promotion. Il a des visions, des rêves et des cauchemars qui se réalisent. Mais rien ne semble lui permettre de sortir d'une fuite invraisemblable contre ses visions et la dure réalité. C'est malheureusement souvent le problème chez Terry Guilliam. C'est un génie d'imagination et de fantaisie, mais il lui manque un cadre pour structurer son oeuvre qui alors s'étouffe de l’énergie-même qu'il y consacre sans mesure et avec démesure.

3) Le même scénario, réécrit
Le personnage principal gagnerait à affirmer ses objectifs plus fermement et les enjeux à le renforcer. On y serait plus captifs, mais on perdrait sur l'absurde des situations qui font de ce récit un projet cohérent. Il serait alors été plus judicieux de transposer les objectifs du héros dans la nécessité de résoudre ceux de ses opposants, afin, par exemple, qu'ils ne le tuent pas. Ainsi, l'absurdité des opposants aurait pu mener notre héros dans des directions absolument incontrôlables et comiques, sans bouder l'idée qu'il ne sait pas lui-même où il va tout en préservant l'intégrité d'une situation parfaitement irrationnelle.

Arzhur Caouissin.

lundi 11 février 2013

Django unchained

Titre

Django unchained.

Scénaristes

Quentin Tarantino.

Commentaire

Cette histoire d'un justicier esclave noir, à la veille de la guerre de sécession, fait sans nul doute apparaître le scénario le plus structuré de la filmographie de Tarantino. Un film à postures, comme on peut s'y attendre, mais qui plaira aux fans des mises en scènes hautes en couleurs, scènes qui auront au moins le mérite de rendre limpide la ligne dramatique de l'oeuvre.

1) Points forts
La qualité structurelle du scénario fait donc clairement apparaître les étapes de la progression du récit, les enjeux et les objectifs de chacun des personnages. Parfois plus qu'il n'en faut d'ailleurs, mais on ne peut que féliciter l'auteur, réalisateur et accessoirement comédien, d'avoir su bien articuler l'ensemble et nourrir comme il faut ses personnages, par des dialogues décidément de plus en plus clairs et suffisants. Moins bavards qu'à l'usage chez le réalisateur, ils savent en effet ici souligner les noeuds dramaturgiques en rappelant régulièrement les objectifs et les enjeux de chaque personnage, comme il se doit. Nous apprécierons aussi les petits clins d'oeil à la langue et à la culture française qui ponctuent le récit bien qu'ils n'apportent pas grand chose à sa progression, quoiqu'ils rappellent le raffinement du Dr Schultz, utile pour caractériser ses actions.

2) Points faibles
Le goût du réalisateur pour l'effet tire le récit vers la posture. Mais, comme à chaque fois chez Tarantino, on se prend au jeu et, par exemple, la musique qui vient souvent appuyer l'image ou les mises en situation souvent trop romanesques, conviennent et participent au régal de ce western d'adolescent. Seul un des derniers coups de théâtre peut apparaître invraisemblable, lorsque notre héros noir esclave est pris au piège de ses ennemis qui ne l'achèvent pas alors que nous les avions vus jusque là sans pitié envers les hommes de sa catégorie. Une sortie en deus ex-machina qui aurait mérité une plus grande attention.

3) Le même scénario, réécrit
Le récit n'a pas grand chose à reprendre tant il est bien structuré. La délivrance héroïque de Django (Jamie Foxx) en fin de parcours pourrait engager juste un peu plus de vraisemblance. Par exemple, au lieu de le voir s'en tirer par un défaut de méchanceté de ses ennemis, nous aurions pu le voir s'en tirer par une pirouette verbale comme le lui avait pourtant si bien enseigné préalablement son mentor le Dr King Schultz en la personne de Christoph Waltz. De multiples placements tout au long de l'oeuvre qui auraient obtenu ici un confortable et généreux paiement. Ce Tarantino reste cela dit un bon cru.

Arzhur Caouissin.

samedi 2 février 2013

Alceste à bicyclette

Titre

Alceste à bicyclette.

Scénaristes

Philippe Le Guay, Fabrice Luchini.

Commentaire

Serge Tanneur, un comédien renfermé et en retraite, se voit proposer de revenir sur les planches pour jouer Molière et rencontre une femme qui le fait également espérer. Mais, suite à de multiples déceptions humaines, son côté misanthrope qu'il acceptait de délaisser, au contraire, se confirme. Une oeuvre par nature très littéraire qui aurait pu gagner en efficacité avec un peu plus de mise en situation.

1) Points forts
L'idée de confronter l'oeuvre de Molière, Le misanthrope (Alceste dans la pièce), à notre monde actuel, où les comportements humains se révèlent souvent égoïstes, violents, trompeurs et décevants est une idée propice à de belles mises en situation. Le paralèlle entre les textes construits en alexandrins, de Molière, et la vie de bobos en retraite sur l'île de Ré qui se prennent le chou avec une jeune actrice pornographique, un chauffeur de taxi insistant, un agent immobilier envahissant, est une belle trouvaille. C'est une manière très délicate de ramener le spectateur d'aujourd'hui à l'oeuvre de Molière, peut-être difficile au premier abord.

2) Points faibles
L'attention constante sur le texte de la pièce du misanthrope rend ce récit un peu terne. Les occasions ne manquent pas, pourtant, de nous faire vivre des situations conflictuelles. Mais les intentions des personnages sont souvent assez peu nourries à l'exception des deux principaux incarnés par Luchini et Wilson, encore que. Les conflits arrivent donc souvent comme un cheveux sur la soupe. Les actions, non organiques, donnent un côté artificiel à la trame et on observe souvent que les réactions sont soit disproportionnées, soit décalées, par rapport à la réalité de nos personnages. Cela ne remet pas en cause naturellement la qualité du jeu des comédiens qui rattrape heureusement les maladresses structurelles du récit.

3) Le même scénario, réécrit
Le film est entre deux. Il ne tranche pas assez. Soit, on concède que les textes de Molière valent de réaliser une oeuvre de théâtre filmé, auquel cas il nous manque des textes et de l'immersion dans la pièce dont il est question. On aurait alors obtenu une l'Avare, comme celui joué par de Funès, ou un OVNI du type Dogville mis en scène par Lars von Trier. Soit, on considère que l'action contemporaine vaut largement les mises en situations de l'époque, et dans ce cas, il fallait renforcer ces situations et les nourrir davantage par une oeuvre plus incarnée.

Pour ne pas refaire la pièce, naturellement, il m'apparaît plus utile d’expérimenter la deuxième proposition, c'est-à-dire la version contemporaine du misanthrope. Dans ce cas, nous aurions dû connaître mieux les motivations de chaque personnage secondaire en nous permettant de participer à leurs vies sur l'île de Ré, ce qui n'a pas été le cas. Nous aurions pu recoller toutes les scènes secondaires en un fil plus probant, plus liant, plus chorale. Par exemple, la jeune actrice porno qui veut s'engager et partir à Bucarest aurait pu annoncer à sa mère, tenancière de l'hôtel, son départ. Cela aurait fait chuter la mère du chauffeur de taxi, présente à l'occasion, qui se serait cassée le col du fémur, scène choisie par les auteurs pour créer du conflit avec les deux comédiens. Chauffeur par ailleurs amoureux de l'italienne qui viendrait de le plaquer par la considération outrageuse et déplacée qu'il aurait faite de la jeune comédienne, etc, etc. Hélas, tous ces rôles existent mais sans relation aucune et sans motivation.

D'autre part, pour sortir un peu du huis clos forcé de l'île de Ré, une escapade en Italie, à Bucarest, à Paris, sur un tournage, nous aurait apporté plus d'air que celui de l'île à elle-seule, qui s'éfforce de nous divertir par des gadgets non structurels comme ces glissades répétées à bicyclette dans l'eau ou des visites répétées et impromptues d'un agent immobilier ou la sonnerie intrusive du téléphone portable.

Ce récit ne gâche pas cela dit le plaisir de voir de brillants comédiens à l'oeuvre, ni, très certainement, de redécouvrir un des plus grands classiques de la littérature française, très actuel en effet.

Arzhur Caouissin.