jeudi 27 février 2014

Ida

Titre

Ida

Scénaristes

Rebecca Lenkiewicz, Pawel Pawlikowski

Commentaire

Un bijou photographique qui n'oublie pas la mise en scène et permet à ce récit, à cheval entre les cultes, de ne pas tomber dans la sensiblerie.

1) Points forts
Le cadre et la photographie racontent ici autant que le récit lui-même. Les images laissent respirer le non-dit, le hors champ, les nuances de lumières, les silences et incitent à la contemplation méditative. C'est ce que vit le personnage principal de Ida (Agata Trzebuchowska), en 1960, orpheline et tiraillée entre plusieurs cultes (une carrière annoncée au couvent, la révélation d'une famille de jésuites assassinée, les moeurs libertaires de l'après-guerre). On vit pleinement sa quête de sens comme un enfant chercherait à interpréter les images incomplètes qu'il perçoit. Le cadre décide pour nous de nous livrer des informations incomplètes mais suffisantes. Ainsi, on peut voir les coiffes de soeurs en train de dîner mais c'est le vide au-dessus de leurs têtes qui s'impose à nous. Les scènes de morts ou sexuelles ne sont que suggérées. Lorsqu'une tante d'Ida prend la voiture, saoule, nous vivons une ellipse temporelle où un pare-choc simplement abîmé fait comprendre qu'un accrochage a eu lieu.
La trame narrative est également claire. Ida a toujours vécu près de soeurs, et lorsque d'autres schémas de pensée tentent de la dévier de sa vocation, même si elle risque de déraper, elle décide finalement de se révéler en affirmant sa croyance à elle, envers et contre les dernières tentations. Ce qui nous aide à mesurer encore mieux son sacrifice.
Même la couleur de ses cheveux qui passent progressivement du blond au brun révèlent la mutation interne de son caractère.

2) Points faibles
Le sujet pèse par la lourdeur latente de la shoah, mais heureusement que l'innocence d'Ida et la beauté de la mise en scène profitent à plus de légèreté. 

3) Le même scénario, réécrit
Un récit très concis de 1h19 qui ne souffre quasiment d'aucune maladresse. Une oeuvre majestueuse de sensibilité. A ne pas manquer. 

mardi 18 février 2014

American bluff

Titre

American bluff

Scénaristes

David O. Russel, Eric Singer.

Commentaire

Un coup monté entre escrocs qui ne succombe pas à la violence gratuite des films de gansters, ni à une course contre la montre stérile, mais qui traine hélas un peu en longueur à cause d'un démarrage à l'enjeu faible.

1) Points forts
Le scénario rebondit sur la complexité d'une manoeuvre dont on suit la trame au fur et à mesure de sa construction, jusqu'au point ultra sensible du non retour. Et le tout, sans artifices habituels des films commerciaux : violence, explosions, course contre la montre. Réussir à maintenir le spectateur ainsi est donc une prouesse.
On apprécie également le style très marqué années 70, bien que le metteur en scène n'insiste pas sur cet aspect : cheveux volumineux, bigoudis, cigarettes, lunettes fumées, costumes à carreaux, barbes, décolletés post-hippie et discos.

2) Points faibles
Le récit se construit en trois temps. D'abord, Irving Rosenfled (Christian Bale) arnaque quelques riches investisseurs à la manière de Maldoff en leur promettant des intérêts extravagants dont ils ne verront jamais la couleur. Puis, il se fait prendre et doit comploter avec un flic, Richie (Bradley Cooper) pour sauver sa peau en piégeant la Mafia locale. Enfin, il décide de se débarrasser de ce jeune et ambitieux parasite en renversant à son avantage le coup. Le problème est que le véritable enjeu, parvenir à sortir d'un piège tendu par le flic, arrive bien tard. Du coup, on subit les petites escroqueries du début jusqu'à la bonne moitié du film d'autant que le premier objectif n'a pas d'enjeu. Les objectifs du départ sont en effet bien définis : gagner en arnaquant les riches, sauver sa peau en complotant avec un jeune flic, mais pas les enjeux. Pourquoi Irving cherche-t-il à arnaquer les riches ? S'il ne le faisait pas, qu'aurait-il à perdre ? Rien. De même, une fois que l'on a compris qu'il devait alors comploter pour sauver sa peau, on attend trop longtemps que le coup final se monte pour voir comment il va s'en sortir. La construction de l'affaire se noie dans des détails qui ne font pas toujours progresser le récit utilement. D'où une sensation d'épuisement, qui se dissipe fort heureusement dès que le projet se confirme à l'occasion de la rencontre piégée par le FBI et de tous les escrocs.

3) Le même scénario, réécrit
En plus de rogner sur l'installation lente du grand complot final, pour renforcer la ligne d'action, il faudrait mieux nourrir les raisons qui motives Irving à avancer. On sait Irving cardiaque. On sait aussi que c'est l'amour porté à son fils qui l'invite à aller de l'avant pour subvenir aux besoins de son ex-femme qui, en contre partie, lui cède la garde de l'enfant. Mais on ne le voit pas assez dépendre de cela pour motiver l'enjeu, base de la trame conflictuelle de ce scénario. Il y aurait donc quelques scènes de crises d'angoisse et de crises cardiaques à placer pour marquer cet attachement, ainsi qu'une attention renouvelée du fils sur la fierté de voir un père escroquer peut-être d'autres voyous. On félicitera l'absence d'artifices néanmoins dans cette histoire, inspirée de faits réels.

Micmacs à tire-l'arigot

Titre

Micamacs à tire-l'arigot.

Scénaristes

Jean-Pierre Jeunet, Guillaume Laurant.

Commentaire

Un bijou aux gadgets et répliques pittoresques mais pour lequel on mesure mal l'enjeu initial, d'où un sentiment de léger flottement qui nuit à l'intrigue. Le charme des chiffonniers compense heureusement ce pêcher scénaristique.

1) Points forts
Les détails qui caractérisent chaque personnage sont croustillants d'authenticité, même dans ce film très léché. Citons par exemple l'appétit vorace de deux trafiquants d'armes lorsqu'ils dégustent, sans le savoir, chacun de leur côté, et chacun à sa manière, un plat de crevettes. Le premier, Nicolas Thibault de Feunouillet (André Dussollier), décortique tout délicatement et méticuleusement, avant de tout engourdir par gourmandise. Le second, son rival, François Marconi (Nicolas Marié), retire cruellement la queue et la tête et avale chaque pièce, une à une, avec la peau.
Chaque personnage apparaît ainsi bien caractérisé et nourri de nombreuses manies (amour du verbe, passion de la mécanique, attention maternelle), et chaque attitude alimente de manière organique le récit. Le désir de Fracasse (Dominique Pinon), de battre son propre record de tir à l'homme canon, permet à l'équipe qui veut aider Bazil (Dani Boon) à atteindre son objectif de vengeance en installant un piège artisanal pour kidnapper les deux trafiquants.
Les auteurs ont également souhaité que Bazil, trop faible, manipule ces deux trafiquants d'armes en les amenant à s'entretuer l'un l'autre. Pour cela, les auteurs ont trouvé l'idée d'impliquer le premier trafiquant dans la mort du père de Bazil et le second dans son handicap à lui. Pour se venger, ainsi, Bazil doit atteindre les deux concurrents, simultanément, ce qui renforce la dynamique et le climax.
Le film offre enfin un double niveau de lecture. Bazil, qui se fait accompagner d'acolytes pour se réaliser représente aussi, quelque part, le réalisateur, JP Jeunet, qui s'entoure d'assistants et d'experts pour l'aider à accomplir son oeuvre.

2) Points faibles
Malheureusement, le récit souffre d'une définition des enjeux et des objectifs un peu floue. Bazil ne déclare qu'à la 38ème minute qu'il cherche celui qui a tué son père et celui qui lui a collé, à lui, une balle dans la tête, et annonce vouloir se venger. C'est tardif, et en attendant, les personnages secondaires que l'on nous présente, n'ont pas non plus d'objectif ! Bazil lui-même n'a pas d'objectif initial, autre que de tenir sa boutique de location de films ! L'action met par conséquent beaucoup de temps à démarrer. Et une fois en place, on peut se demander ce que Bazil aurait à perdre en ne se vengeant pas. En effet, l'enjeu du héros reste également un peu mince pour drainer l'ensemble du film : qu'adviendrait-il s'il décidait simplement de tout abandonner ? Rien. Le film supporte hélas assez mal ces manques de structure organique, compensés nécessairement, par une belle image, une mise en scène et des gadgets forains, dignes d'attention.

3) Le même scénario, réécrit
Première action : renforcer par quelques répliques l'objectif et l'enjeu. Par exemple, en plus de tenir sa boutique, Bazil devrait affirmer déjà un but, plus tard compris par ce qui va lui arriver, comme rencontrer l'amour parce qu"il se trouve seul, rêver d'une grande boutique parce que celle-ci est petite, etc. En plus, il faudrait montrer très tôt Bazil en train de souffrir véritablement de l'absence de son père, avant l'accident de la balle perdue dans son crâne, puis le faire rager d'avoir presque perdu la tête au point que, par exemple, le chirurgien qu'il rencontre et lui diagnostique son handicap ne puisse pas lui retirer la balle qu'il a dans le crâne tant qu'il n'en a pas identifié l'origine, obligeant Bazil à atteindre physiquement son fabriquant, pour en plus lui permettre de retrouver quelques facultés pour séduire, que bien sûr il abandonnera devant la rencontre improbable de la Môme (Julie Ferrier). Sans de tels enjeux, Bazil serait condamné.
En nourrissant également un peu plus les objectifs secondaires vers des épreuves individuelles qui les auraient tous amenés à compatir par nécessité de se venger aussi, nous aurions grandement renforcé la ligne d'action.
Mais, c'est un Jeunet, et seule sa mise en scène suffit à rassasier le bon public que nous sommes. Le désir de nourrir un récit de détails ne doit cela dit pas faire oublier la ligne d'action principale. C'est probablement ce qui conduit le réalisateur à privilégier désormais des récits déjà écrits (Spivet) qui ont déjà rencontré le succès.

lundi 17 février 2014

L'empire du soleil

Titre

L'empire du soleil (Empire of the sun).

Scénaristes

Tom Stoppard, Menno Meyrjes, James Graham Ballard.

Commentaire

La double histoire de camps de concentration nippons aux alentours de Shanghai lors de la seconde guerre mondiale, couplée au récit d'un enfant qui abandonne son innocence pour devenir adulte. Une épopée prometteuse et ambitieuse, bien mise en scène, qui oublie hélas qu'un objectif se nourrit aussi d'enjeux forts.

1) Points forts
La petite histoire dans la grande histoire, cela fait toujours plaisir, relate ici le besoin du petit Jim (Christian Bale, alias Batman) de survivre, en tant que jeune britannique nantis habitant de quartiers VIP de Shanghai en 1941, en pleine guerre et famine, contre le Japon. La Chine est alors présentée comme pro-occident (l'architecture et les moeurs occidentales de Shanghai sont volontairement mis en avant par le réalisateur), face à un Japon pro-nazis (l'effrayante et puissante armée qui martyrise le peuple chinois), malgré quelques nuances (l'honneur et l'intégrité sans égale du peuple japonais, la cupidité de quelques chinois et occidentaux).
On appréciera notamment les scènes à plusieurs niveaux de lecture. Par exemple, lorsque Basie (John Malkovitch), ramasse à la pèle quelques gravas aux pieds de son protégé Jim (Christian Bale), il illustre aussi son intention de le sortir du pétrin et de déblayer, quelque part, le chemin du jeune anglais dont il apprécie les manières et la possibilité de lui trouver quelques affaires. Et cette autre scène où les nantis occidentaux n'ont pas d'autre choix que de passer sur un pont pour rejoindre une fête, en croisant la foule pauvre, affamée et en pleine rébellion, faisant front à leurs costumes déplacés et extravagants, au sein de leurs voitures de luxe, dans un même et unique plan. La confrontation qui symbolise la rébellion est claire.

2) Points faibles
A cette double narration, un autre objectif vient aider notre héros à s'accomplir. Très jeune, bercé par la vue d'avions dans le ciel, admiratif, il ne cesse de vouloir un jour les toucher à défaut de pouvoir les piloter. Il se prend à jouer alors souvent d'un avion de papier, qui l'amènera face à différentes situations parfois cocasses (affront d'un groupe de militaires menaçants, perte de ses parents). C'est le travers du héros qui le conduit à perdre la raison et l'oblige à trouver le moyen de se réaliser. Mais cet objectif apparaît trop secondaire et assez peu organique. Il ne sert en fin de compte qu'à perdre le fil ou à modérer la cruauté de la guerre, et à la rendre plus poétique sans doute dans le regard de l'enfant. Le fil conducteur de l'avion de papier ne trouve en effet de réalisation que dans la vue véritable d'une attaque aérienne par le jeune Jim. L'attaque du camp de concentration où était placé le gamin, clou de l'histoire à la suite des événements d'Hiroshima, aurait pu se faire sans lui.
De même, l'enfant subit un peu beaucoup l'histoire avant de se révéler enfin, dans la dernière demie-heure. Certes, il est jeune et l'on concède que passer d'un cocon bourgeois à l'autonomie d'un aventurier adulte, il y en a des épreuves à vivre. Mais le spectateur, lui, reste en attente d'action émanant de son héros ! 

3) Le même scénario, réécrit
Pour que la démarche du jeune Jim apparaisse plus active, il aurait fallu que l'enjeu de sa mort se manifeste de manière plus menaçante encore, par des attaques répétées plus évidentes, moins suggérées. De même, pour que sa petite histoire se lie avec la grande, il aurait fallu qu'une action de sa part influe le déroulement des événements. Par exemple, son amitié avec quelques enfants japonais aurait pu attendrir de manière plus effective encore les militaires des deux parties opposées et introduire quelques conciliations réciproques. Le point de vue du réalisateur et des auteurs a bien été de rester sur le regard de l'enfant, tout en reprenant les faits réels de l'histoire, mais tous les spectateurs ne sont pas des enfants et un récit n'est pas que l'histoire. Ce film peut donc paraître long, malgré ses scènes mémorables et la sensibilité de son principal personnage.