samedi 27 décembre 2014

La famille Bélier

Titre

La famille Bélier.

Scénaristes


Stanislas Carre de Malberg, Victoria Bedos, Eric Lartigau, Thomas Bidegain.

Commentaire

Les Choristes sont dans le pré, en plus téléphoné.

1) Points forts
Excellent point de départ que de placer le conflit entre une famille de sourds-muets et une fille qui révèle un don pour le chant. Conflits en perspective !
On apprécie également l'immersion dans les univers paysans, ados, sourds, enseignants, sans tabous. François Damien purge le cul d'une vache ou accompagne un vêlage et n'en demeure pas moins un excellent amant pour la femme qu'il aime. Eric Elmosnino joue un prof de chant réaliste et pragmatique qui n'hésite pas à ridiculiser les mauvais élèves, mais s'engage envers ceux qui en valent la peine.
Les seconds rôles sont tous bien nourris, et on sent l'inspiration d'un film comme les arnachoeurs pour lequel le couple Férier/Damien tenait la barque. Il est ici incarné par Viard/Damien. On aimerait même que l'histoire se recentre sur eux, tant leurs enjeux peuvent parfois dépasser ceux du personnage principal.
Les quiproquos et l'humour parviennent à tenir le récit malgré ses quelques faiblesses organiques.

2) Points faibles
La comédie musicale use et abuse de chansons françaises libres de droits d'interprétations (+ de 25 ans d'âge) et se concentre sur un seul et unique répertoire, celui de Michel Sardou. Cela renforce le côté téléphoné du récit, qui, mécaniquement, lasse le spectateur. Par ailleurs, les chansons ne font pas structurellement progresser le récit, à l'exception de la reprise finale. Et l'attente se fait double.
Si, à cela, vous ajoutez que les interprètes ne nous surprennent vocalement pas plus que ce que nous avons entendu maintes fois dans de nombreux radio-crochets télévisés, on peut être très déçu du résultat.

3) Le même scénario, réécrit
En diversifiant les chansons, et en sélectionnant des oeuvres qui nourrissent la progression dramatique sans répéter les dialogues, nous gagnerions en efficacité. L'enjeu de l'héroïne Paula (Louane Emera) pourrait également être renforcé en montrant en quoi réussir un concours de chant, alors qu'elle n'en a semble-t-il que faire, peut devenir décisif. Par exemple, le fait qu'elle rencontre l'amour semble trop acquis avant l'ultime représentation et aurait pu en être la seule conséquence. Le fait que Paula parvienne à s'affirmer et à émouvoir son public de professionnels aurait alors suffit à aider Gabriel à changer sa manière de la percevoir.
Mais, les histoires secondaires aussi auraient gagné à être plus intimement liées à celle de Paula. Si leur déroulement reste effectivement subordonné à la disponibilité de Paula, occupée à apprendre le chant tout au long du récit, le succès de chaque seconde intrigue (élection du père-maire, amours de son frère envers sa confidente), jetées en deus ex-machina dans le générique de fin, auraient gagné à devenir possibles uniquement sur le succès de Paula. Par exemple, elle aurait pu affirmer à haute voix devant un public ébahi que chacun doit assumer ce pourquoi il est destiné, et que c'est pour cela qu'elle a pu se réaliser elle, et qu'alors, les autres aussi seraient bien inspirés de la suivre, en se réalisant chacun à leur tour, et paraphraser son prof de chant (l'adjuvant) pour qui chacun est responsable de son destin.
Mais cette comédie reste cela dit un agréable moment si l'on accepte de la prendre avec légèreté et avec la nostalgie ambiante d'une France mélancolique, jusque dans les plus belles traditions déchues de nos contrées les plus profondes (un paysan heureux qui gagne simplement sa vie, un prof inspiré entouré d'élèves consensuels, des adolescences édulcorées aux revendications légères).

Exodus, gods and king

Titre

Exodus, gods and kings.

Scénaristes


Adam Cooper, Bill Collage, Jeffrey Caine, Steven Zaillian.

Commentaire

Récit très peu fidèle à La Bible et dont la vocation se révèle plus un prétexte à la mise en scène de décors spectaculaires, voire à un dénigrement du récit originel, lui-même.

1) Points forts
Le détail et la profusion des éléments décoratifs en fait une oeuvre spectaculaire. La représentation des 10 plaies d'Egypte (mer de sang, invasions d'insectes, intempéries, maladies), accroche le spectateur. Le rapport d'échelle entre les sujets et l'immensité du paysage offre de somptueuses fresques.

2) Points faibles
On regrette hélas le manque de cohérence et de fidélité des auteurs à l'oeuvre originelle. D'abord, Moïse est ici interprété comme un général des armées, distant, déchu, et vengeur. Alors qu'il est en principe un berger proche des préoccupations de son peuple. Dieu est représenté par un enfant capricieux, destructeur et colérique, bien que La Bible évoque une simple voix sortie d'un buisson et suggérant des plaies aux égyptiens uniquement si Ramsès II persiste à ne pas entendre la raison.
On regrettera aussi le manque de discernement sur ce qui se révèle utile ou pas, dans un scénario. Ainsi, le film démarre avec une bataille assez longue dont on ne comprend ni les enjeux ni l'objectif, si ce n'est qu'une attaque de méchants égyptiens contre le peuple meurtri, ce qui se révèle un peu court et très manichéen, mais surtout, sans aucun fondement qui aiderait le spectateur à développer de l'empathie. Inversement, lorsqu'enfin Moïse libère son peuple et franchit la mer rouge, sauvé de l'oppression égyptienne, et qu'il regagne la montagne où il découvre les lois divines devant servir à cadrer son peuple un peu top émancipé, on nous prive de ces 11 commandements fondamentaux qui accomplissent normalement le récit. Tout ça pour si peu ? On ne parlera pas de séquences interminables parce que peu engageantes où Moïse se retrouve face à lui-même ou à son épouse et ne décide rien. Et on oubliera les erreurs d'adaptation où, par exemple, une épée prend la place d'un bâton de berger.

3) Le même scénario, réécrit
En voulant trop prendre de la distance avec l'oeuvre originale, Ridley Scott propose un récit qui perd de son efficacité, voire qui s'oppose au but initial et pédagogique du mythe. On gagnerait ici à recentrer l'objectif sur l'enjeu moral de l'oeuvre pour éviter de la percevoir comme un affront blasphématoire. Pour cela, il suffirait de remplacer les scènes inutiles de combats et d'esbroufe, par un peu plus de questionnements existentiels entre le peuple élu et Moïse. La 3D ne sert également pas vraiment le propos. On préfèrera l'original.

lundi 15 décembre 2014

Grace de Monaco

Commentaire

Grace de Monaco

Scénaristes

Arash Amel

Commentaire

Un biopic succinct et au dénouement un peu léger.

1) Points forts
L'idée de rassembler les élites du début des années 60 dans une oeuvre un peu mélancolique offre du glamour et répond à la vocation manifeste d'une principauté.
Le rappel des enjeux géopolitiques de l'époque aide également à contextualiser le récit, et à mesurer l'importance de la posture incarnée par la princesse Grace Kelly, ici Nicole Kidman. Par exemple, cela se révèle lorsque le prince Rainier III affirme avoir échoué et qu'il doit abandonner son pays à de Gaulle, qui réclame l'impôt en contre partie de la protection et de l'approvisionnement en ressources du pays monégasque. On comprend alors bien le dilemme pour Grace de devoir choisir entre sa carrière d'actrice et celle, plus diplomatique, d'une princesse.

2) Points faibles
Les deux grands défauts de ce scénario sont que : l'enjeu de la princesse n'apparaît pas insurmontable et que le dénouement, en outre, semble improbable.
D'abord, sur l'enjeu. L'objectif de la princesse est de se réaliser en tant qu'actrice. Que se passerait-il si elle n'y retournait pas ? Quel est l'enjeu lié à cet objectif ? Elle serait certainement très déçue, mais après ? On peine donc à admettre qu'une autre situation est possible que de ne pas y retourner. Pas d'élément captif, donc, pas d'enjeu. Le véritable enjeu est celui de son conjoint, le prince. C'est lui qui a beaucoup à perdre puisqu'il en va de son trône et de laisser ou non le pays entre les mains du général de Gaulle. Jusqu'au milieu du film, on a même l'impression qu'on s'est trompé de personnage principal. Celui qui vit le plus d'épreuves apparaît être le prince, et non l'actrice.
Ensuite, comment peut-on réellement croire qu'un discours mièvre lors d'un gala pour la Croix rouge ait pu résoudre tous les maux géopolitiques européens des années 60 ? Grace nous fait un discours assez simpliste au demeurant généreux sur l'idée qu'être bon, c'est bien, et que faire des guerres, c'est pas idéal. Soit. Et tout le monde s'en émeut au point que de Gaulle, présent et charrié par ses congénères, en aurait annulé l'invasion de Monaco tout comme Napoléon ou Louis XIV n'ont, eux non plus, pu s'opposer au sens d'une grande histoire monégasque jonchée de croupiers et de fortunes défiscalisées. On peine à croire que de tels dirigeants plutôt va-t-en-guerre puissent si aisément se laisser vaincre par l'émotion, surtout au service d'une cause factuellement assez douteuse. Le dénouement qui repose sur cet événement semble donc un peu léger. A croire que, soit le récit est incomplet, soit il a été édulcoré pour tenter de servir un propos qui n'a pas réellement existé, ou que le maintien du trône de Rainier III relèverait plus de manoeuvres obscures que de réelles implications sociales. Bref, on reste sur sa faim.

3) Le même scénario, réécrit
Sans enlever du glamour qui caractérise le côté un peu féérique de Monaco, ses paillettes, il aurait au moins fallu nourrir davantage l'enjeu de l'héroïne et son dénouement pour ne pas paraître creux. Par exemple, une petite tirade saignante de Hitchcock à Grace, comme on les aime, jouant sur le peu d'années qu'il lui resterait pour séduire le monde, pour lui faire changer d'avis, aurait été bienvenue. Nous aurions mieux ressenti la pression intérieure que Grace aurait eu à devoir renouer avec son public pour s'accomplir au travers du rôle de sa vie qu'elle n'aurait pas encore eue. Et puis, impliquer des intermédiaires géopoliticiens, avec des enjeux obscurs, auraient aidé à mieux admettre la causalité entre le discours final de Grace au monde, et l'issue géopolitique des diverses crises de l'époque. Même si elle-même n'avait pas d'implication directe, l'effet domino nous aurait aidé à apprécier son pouvoir et ce en quoi c'était bien là que se déroulait, probablement, le véritable rôle de sa vie.

mercredi 10 décembre 2014

The tree of life


Commentaire

The tree of life

Scénaristes

Terrence Malick

Commentaire

Une oeuvre magistrale, ôde à la beauté de la vie, à mi chemin entre un film de Stanley Kubrick et Clint Eastwood.

1) Points forts
Aucun compromis artistique n'est fait pour illustrer la beauté du monde. On passe du réel quotidien d'une famille américaine se créant des complications psychologiques liées à l'éducation dure de leur progéniture, à la grandeur et générosité de notre monde, tous espaces et toutes époques confondus. Une approche qui peut dérouter les spectateurs familiers de récits plus traditionnels, mais qui reste parfaitement cohérente d'un point de vue artistique et dramaturgique. C'est un récit avec, tout simplement, un point de vue omniscient. Une oeuvre que les bouddhistes qualifieraient de pleine conscience, où cohabitent une vision globale et une lecture subjective. Une oeuvre que seul le numérique probablement autorise, du fait de la parfaite précision et du détail photographique des images.
Bien que probablement absents du scénario écrit, la mise en scène offre son lot de trouvailles filmiques qui plairont aux cinéphiles. Lorsque la caméra tourne sur elle-même à la manière d'un plan séquence de Claude Lelouche, les personnages demeurent tantôt fixes ou disparaissent, voire, changent d'époque. La sensibilité du cadre et du jeu sont telles que l'on ne s'en rend pas compte. Tout, y compris les moments difficiles, est fluide.
Le père dur, Mr O'Brien (Brad Pitt), ne laisse rien transparaître jusqu'au dernier moment où l'on comprend l'implication qu'une vision globale et parallèle du récit apporte lorsqu'il révèle son véritable jeu, celui de prédisposer ses enfants à la beauté du monde en les prémunissant de la bêtise humaine. De même, Jack (Hunter Mc Cracken/Sean Penn), le fils aîné qui en voit de toutes les couleurs avec son père, témoigne d'un des sentiments les plus libérateurs que l'homme puisse connaître : le pardon.
Ce récit, outre la petite histoire qui se trame entre quelques individus, nous raconte surtout l'univers et la manière avec laquelle l'auteur nous conseille de nous libérer pour donner du sens à notre existence.

2) Points faibles
Tout comme les années 60 et 70 ont produit des films aux plans cinémascopes et couleurs interminables, parce que l'on découvrait la couleur en grand format, il est probable que ce film-ci prête à sourie d'ici quelques décennies, très marqué par un style où le numérique offre une nouvelle vie aux images d'un niveau de piqué extrêmement fin. Une film qui risque donc de marquer son époque pour une oeuvre qui aspirait pourtant à nous ouvrir vers l'universel et l'infini.
La posture du père apparaît assez peu digeste car souvent injuste. On gagnerait à alterner avec une posture plus libre, incarnée peut-être par l'espoir d'une mère soumise mais un peu plus manifeste.

3) Le même scénario, réécrit
Aucun défaut scénaristique hors mis quelques longueurs de plans photogéniques. Mais ils participent à la singularité de l'oeuvre. Du grand art. A voir absolument, et en très haute définition.

mardi 9 décembre 2014

A la croisée des mondes


Commentaire

A la croisée des mondes : la boussole d'or

Scénaristes

Chris Weitz, d'après l'oeuvre de Philip Pullman

Commentaire

L'exemple à ne pas suivre d'une trilogie édulcorée et sacrifiée pour plaire davantage, et qui, du coup, ne plaît pas. La série a été arrêtée et les autres épisodes n'auront pas lieu.

1) Points forts
Un univers fantastique mêlant imaginaire, mondes parallèles, des enfants, des dogmes, des animaux qui parlent.
Une grande métaphore de notre monde où les religions et les croyances braquent les individus.

2) Points faibles
Une adaptation d'une trilogie bien trop verbeuse puisque beaucoup d'explications viennent tenter de compenser les limites de temps disponibles dans un film pour présenter la richesse d'un monde, ses codes, ses principes, ses règles, ses personnalités. Du coup, on tente de recoller intellectuellement les morceaux, ce qui dessert l'oeuvre et la rend peu accessible à un jeune public pourtant la cible du récit.
Une adaptation qui en outre a choisi de limiter les références à la religion, alors que c'est l'axe dramaturgique du livre, et cela, pour ne pas déplaire à un public américain puritain et pratiquant et mieux exporter le film à l'international. Résultat, l'oeuvre perd de son âme et on ne comprend plus vraiment ce qui oblige l'héroïne Lyra (Dakota Blue Richards) à lutter contre le dogme qu'incarne Nicole Kidman. Par exemple, lorsque des hommes viennent enlever des enfants pour pratiquer une intercision qui les sépare de leur démon (un animal de compagnie qui reflète l'état de leur âme et sans lequel ils deviennent lobotomisés), l'auteur évoque la violence de l'excision mais on n'en parle pas. Lorsque le dogme dénonce ceux qui osent parler de l'existence de mondes parallèles accessibles par un canal de poussières, on évoque l'entêtement de l'église à admettre que la Terre est ronde ou que le ciel n'est pas si manichéen mais on n'accuse pas.

3) Le même scénario, réécrit
D'abord, aucune oeuvre ne résiste aux compromis imposés par le marketing. Il fallait aborder, sans tabou, les contradictions des religions, et pour que la pilule passe, il suffisait de faire en sorte que toutes les religions en prenne pour leur grade, y compris l'athéïsme et la laïcité.
Ensuite, aucun dialogue ne remplace une bonne mise en scène et au lieu de trop raconter les faits et le rôle des personnages, il conviendrait de limiter leur nombre ou d'offrir plus de temps pour étayer les événements à partir d'événements filmiques.
Une magie qui pourtant offrait une grande féérie, et aura au moins le mérite d'accompagner son public vers la lecture effective des deux autres tomes de la saga pour en connaître le dénouement.

lundi 1 décembre 2014

Le lauréat

Commentaire

Le lauréat

Scénaristes

Calder Willingham, Buck Henry, Charles Webb

Commentaire

Photographie d’une époque de mœurs libérées mais conduit sur un fil de rasoir et doublé d’une bande musicale devenue cultissime (Simon and Garfunkle).
1) Points forts
Dans ce récit, une femme bourgeoise, puissante mais lassée et vieillissante, profite des faiblesses du jeune ingénu Benjamin Braddock (Dustin Hoffman) qui se cherche. On y apprécie la qualité de la mise en scène lorsque, par exemple, des images subliminales viennent dévoiler le corps dénudé de l’aguicheuse, que son jeune invité ne saurait voire. Ou bien, lorsque Ben tient des propos contraires à ce que racontent les images, quand il affirme quitter la chambre, tout en dévorant du regard la dominante dévoilant outrageusement ses portes jarretières en se caressant langoureusement les jambes. Ou encore, lorsque le héros parvient à trouver l’âme sœur et une raison de vivre, puis, tire un trait sur l’ancien monde qui le dégoutte, emprisonné dans ses pratiques, ses mensonges et ses croyances, en utilisant la croix de Jésus Christ pour les immobiliser tous.
Autre point fort, chaque personnage cherche son amour propre et participe à retenir l’attention, malgré les plans musicaux à rallonge (surtout témoin pittoresque des premiers films en cinémascope).

2) Points faibles
Hypnotisés par le bénéfice de l’image, l'oeuvre affiche certaines longueurs, typiques de l'époque. On gagnerait à rogner un peu si on cherchait de l’efficacité. Mais pour les nostalgiques, cela ne gâche en rien le plaisir.
Les plans très rapprochés du jeune Ben nous immobilisent également longuement, au début du film, sur l’inconnu, le placement est un peu contemplatif, heureusement compensé par le talent du comédien.

3) Le même scénario, réécrit
Peu de choses à redire de cette œuvre plutôt structurée, qui relate une certaine soif de libertinage tout en offrant cela dit une fin des plus morales, et sans que nous la révélions ici. Un film à voir aussi pour Dustin Hoffman.

dimanche 30 novembre 2014

Lucy


Titre
Lucy

Scénaristes

Luc Besson

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Un récit non nourri et donc invraisemblable faisant au passage l'éloge des paradis artificiels.

1) Points forts
La tentative du réalisateur d'intercaler des scènes documentaires entre les séquences de la fiction apporte une écriture digne d'un premier prix de mise en scène.
Le thème de la perception enfin abordé sans tabou.

2) Points faibles
Les personnalités de chaque protagonistes ne sont pas définies. On ne sait pas ce qui habite l'héroïne, ni ses opposants. On ne connaît pas leur mode de vie, ni leurs croyances. Cela donne une impression d'attente pendant tout le récit qui, malgré les obstacles, les explosions, les courses poursuites, ne parvient pas à impliquer le spectateur. On se demande où l'on va et ce que font là tous ces personnages.
L'utilisation de scènes documentaires pour offrir une lecture originale de la fiction pèse également par le choix des images qui commentent et soulignent de manière très téléphonée la fiction. Quand l'héroïne entre, par exemple, dans un palace pour y déposer une mallette dont elle ignore le contenu, une image d'un piège à souris avec un bout de fromage apparaît. On est loin de la métaphore nébuleuse du cinéma d'art et d'essai. Le film est raconté avant qu'il ne se déroule, ce qui se révèle extrêmement pénible.
Les énoncés scientifiques des élites (Morgan Freeman) ne relatent que des banalités admises depuis tous en classe de sixième, telles que : "le cerveau humain n'est exploité qu'à 10%". Ces thèses ne reposent, en outre, que sur des suppositions puisque rien ne nous dévoile ici l'origine de ces mesures. Ce qui rend peu probant l'ancrage scientifique du récit.
Du coup, pas de véritable histoire, ni de réel fondement scientifique, font de ce film une oeuvre sans grand intérêt si ce n'est d'éveiller le spectateur à l'idée brillante que notre perception est en deçà de ce qu'elle pourrait être. Mais ce récit n'exploite, à son tour, que moins des 10% de son potentiel.

3) Le même scénario, réécrit
Creuser un peu plus les thèses scientifiques à partir de données tangibles, comme l'idée mal exploitée et peu étayée, par exemple, selon laquelle le temps et la masse jouent sur la réalité de la perception. Il faudrait l'affirmer de manière plus juste que par l'erreur suivante : "il y a matière parce qu'il y a du temps". Non seulement cela n'explique rien, mais en plus c'est faux. C'est en effet le contraire qui est admis : le temps est subordonné à la masse et, l'auteur aurait eut bon goût de conclure que toute personne ayant assez de recul pour conceptualiser le monde sans ses 4 premières dimensions (longueur, largeur, profondeur, temps), accède à une vision globale et instantanée du tout, et donc, à ce que l'on peut définir comme la perception. A condition toutefois de mesurer cela et rapporter des études graphiques tangibles et incontestables étayant ces dires.
Ce niveau de conscience ne semble-t-il pas, par ailleurs, accessible par des états de transe tels qu'enseignés par des moines de toutes religions ? Or, aucun avis non plus n'apparaît sur la question. Un vrai manque documentaire apparaît manifeste, pour le coup, dans un récit qui se veut justement adossé à une vision documentée des choses. Cette vision multi-théologique aurait pourtant aidé à toucher les croyances de chacun, à caractériser les personnages, à définir les enjeux, tout en positionnant le film dans l'actualité d'un monde en quête de sens et de par ses nombreux conflits religieux. On est passé à côté d'un grand récit.
Un scénario dont la morale aboutit finalement à dire que l'on atteint la perception qu'à l'aide de drogues dures sonne, pour finir, comme un arrière-goût de propagande pro narco.
Luc Besson, Dieu du pitch mais toujours trop avare d'écriture, passe ici à côté de son objectif, et ce malgré l'énergie et les qualités dont il dispose en tant que fabriquant d'image.

dimanche 9 novembre 2014

Interstellar


Titre

Interstellar

Scénaristes

Jonathan Nola, Christopher Nolan

Commentaire

Une fiction documentée sur la fin de notre civilisation, mais irréaliste tant l'emprise des problèmes individuels absorbe les enjeux universels.

1) Points forts
Dans cette histoire où une équipe de scientifiques décide de percer le secrets d'autres galaxies, à l'aulne de notre propre civilisation, les personnalités de chaque individu sont très bien nourries, compte tenu du temps effectivement attribué pour leur mise en place (le film dure 2h50).
Les différentes étapes de progression du voyage intergalactique reposent, de plus, sur des données réelles. Il est en effet possible de rencontrer des portes de verre (couloirs du temps) selon la recherche astronomique. Il est également plausible de graviter autour d'un trou noir afin de tirer partie de son inertie pour avancer dans l'espace, mais contre un ralentissement important du temps. La géologie peut également se développer sous d'autres formes, dans d'autres galaxies, mais avec des échelles et des rapports à la gravité bien différents. Les spectateurs des séries Les mystères de l'univers et Alien theory, sur RMC Découvertes, en auront pour leur argent.

2) Points faibles
L'enjeu colossal de sauver la Terre en trouvant une planète habitable face à celui, trop personnel, de revoir ses enfants, pour un homme désabusé qui ne croît plus en son prochain, semble peut affecter les scientifiques chargés de sauver le monde. Il paraît en effet invraisemblable que l'on envoie des humains sauver la Terre, alors qu'ils apparaissent manifestement psychologiquement très fragiles, suicidaires, colériques, amoureux, loin des proches dont ils ne peuvent se passer et risquent à tout moment de se perdre. Ainsi, le récit attribue une dimension trop importante pour les relations sociales alors que l'enjeu humaniste, de civilisation ou militaire devrait prédominer.
La musique angoissante et assourdissante vient également plomber la lecture de l'épopée. On sent le rafistolage pour maintenir l'attention d'un film trop long qui se perd dans les problèmes psychologiques personnels.
Le héros, Cooper (Mattew McConaughey), semble enfin terminer sa course par un extraordinaire deus ex machina qui le propulse d'un univers à l'autre, on ne sait comment, et ce malgré l'effort d'écriture sur les imbrications de ces différents espace-temps jusqu'à lors mis en scène. Tout ça pour ça ! Quel dommage !
On ne perçoit pas, enfin, les implications des découvertes effectuées lors de ce voyage, dans le devenir de notre civilisation, trop étouffées par les rapports sociaux.

3) Le même scénario, réécrit
En retirant une bonne partie de la bande son, on mettrait en évidence les scènes de conflits personnels bien trop imposantes. Et en les réduisant à une simple expression, une phrase par personnage, une pause, le film reprendrait sa dimension dramatique plus globale, plus universel, avec une rythmique plus efficace et au passage moins glauque (la musique est un agglomérat réverbérant de sons métalliques stridents). On reste encore assez loin de l'oeuvre de Stanley Kubrick de 1968. Un film qui se laisse voir, une fois, peut-être.

dimanche 2 novembre 2014

Magic in the moonlight

Titre

Magic in the moonlight

Scénaristes

Woody Allen

Commentaire

Comédie fidèle à son auteur ficelée comme une intrigue parapsychique. Un bon moment.

1) Points forts
Bonne structure dramatique nourrie de nombreuses questions existentielles qui balisent bien le récit. Qu'y a-t-il au-delà du réel ? Puis-je aimer une fantaisiste alors que je suis quelqu'un de sérieux ? Peut-on compter sur ses vrais amis ? Le bonheur est-il matériel ?
On apprécie également la qualité du fil conducteur psychiatrique qui draine, comme toujours chez Woody Allen, l'histoire, et apporte un second niveau de lecture. Par exemple, lorsque le personnage principal de Stanley Crawford (Colin Firth) pense avoir découvert la vérité, il évoque sa mère, le ciel, s'allonge en position foetale et s'endort pour décompresser d'une tension accumulée depuis son enfance.

2) Points faibles
Fidèle à lui-même donc, Woody Allen ne manque pas d'offrir des dialogues un peu trop présents qui pourraient être remplacés par des scènes. Par exemple, lorsque Stanley évoque sa tante malade, ses souffrances, il ne fait qu'en parler, on ne la voit jamais malade. Ou lorsqu'il évoque son enfance apeuré par l'inconnu, le ciel, la grandeur des astres, on ne le vit pas non plus. C'est un des grands défauts des oeuvres de Allen qui le rend un peu moins accessible qu'il ne devrait et lui confère un style trop littéraire, mais c'est aussi sa signature.
On regrettera aussi la légèreté avec laquelle Stanley décide, soudain, de ne plus croire au surnaturel. Aucune preuve ne nous permet de le comprendre. Il change d'avis, un point, c'est tout. Pour le coup, c'est un peu surréaliste.

3) Le même scénario, réécrit
La structure dramaturgique étant correcte, et bien que certains retournements pourraient être mieux nourris, il ne reste finalement qu'à mettre en scène les événements secondaires décrits dans les dialogues pour offrir une oeuvre plus efficace. Quelques scènes supplémentaires s'imposent donc. Mais le film reste tout-à-fait plaisant, à l'heure où le matérialisme du monde nous éclaire sur le sens qu'on veut pouvoir lui donner.

dimanche 28 septembre 2014

Brèves de comptoir

Titre

Brèves de comptoir.

Scénaristes

Jean-Michel Ribes, Jean-Marie Gourio.

Commentaire

Un patchwork de tirades sans fil conducteur mais qui ne manque pas de panache et autorise de bons éclats de rire.

1) Points forts
L'authenticité des dialogues, entendus dans de vrais cafés et ayant fait l'objet d'un livre, rend l'oeuvre tout-à-fait délectable et caractérise efficacement les personnages et les situations sans qu'il ne soit nécessaire d'en rajouter.
Quelques scènes abordent l'univers du bistro y compris à travers des moments non dits, comme cette formidable danse de la femme méprisée du tenancier du bar qui, ivre, tente de séduire un veuf alcoolique, de la pure poésie !

2) Points faibles
Alors que l'on nous vend du réalisme inspiré du monde de tous les jours, Jean-Michel Ribes dont on apprécie l'humour sociétal (Série Palace), choisit de nous placer ici dans un univers confiné, faussement insonorisé, qui plonge les situations dans une mise en scène de théâtre filmé, plus proche d'une mécanique de cinéma bien jouée que d'une véritable histoire cinématographique. L'oeuvre adopte ainsi une allure de récitation qui pèse et manque, cruellement, soit de plus poésie (comme l'aurait traité Jeunet ou Jérôme Deschamps), soit de réalisme (comme l'aurait traité la nouvelle vague canadienne).
Les scènes n'ont également que très peu de liant. Seul le rappel de l'heure de la journée tous les quart d'heure du film tente de rythmer le récit. On ne tient pas un public sans fil conducteur !

3) Le même scénario, réécrit
Sans sacrifier la qualité des répliques, il était nécessaire d'adapter le livre en ajoutant une trame narrative et organique au récit. Le personnage du patron incarné par Bénureau eut été un axe idéal pour fédérer tout ce petit monde. C'est d'ailleurs ce qui a été tenté à quelques reprises, mais le tenancier ne possède pas d'objectif, ni d'enjeu. Le plan tombe à l'eau rapidement, sauvé heureusement par la qualité des dialogues.
Pour renforcer le scénario, le bar étant situé en face d'un cimetière, et quelques-uns de ses plus fidèles clients étant liés à l'activité de ce cimetière, on aurait pu affirmer l'intérêt du patron du bistro d'entretenir sa clientèle en leur servant beaucoup à boire, mais avec le terrible enjeu de les voir finir dans le cimetière morts d'ivresse. Ce cimetière, à la fois source de revenus pour le bar, et véritable menace par laquelle chaque client alcoolique qui décède est un client de moins, aurait tenu là un enjeu dont la finalité autorisait les répliques philosophiques les plus désopilantes, sur la vie et la mort, et qui auraient terminé l'oeuvre en nous faisant, à notre tour, un peu plus mourir... de rire.