samedi 2 février 2013

Alceste à bicyclette

Titre

Alceste à bicyclette.

Scénaristes

Philippe Le Guay, Fabrice Luchini.

Commentaire

Serge Tanneur, un comédien renfermé et en retraite, se voit proposer de revenir sur les planches pour jouer Molière et rencontre une femme qui le fait également espérer. Mais, suite à de multiples déceptions humaines, son côté misanthrope qu'il acceptait de délaisser, au contraire, se confirme. Une oeuvre par nature très littéraire qui aurait pu gagner en efficacité avec un peu plus de mise en situation.

1) Points forts
L'idée de confronter l'oeuvre de Molière, Le misanthrope (Alceste dans la pièce), à notre monde actuel, où les comportements humains se révèlent souvent égoïstes, violents, trompeurs et décevants est une idée propice à de belles mises en situation. Le paralèlle entre les textes construits en alexandrins, de Molière, et la vie de bobos en retraite sur l'île de Ré qui se prennent le chou avec une jeune actrice pornographique, un chauffeur de taxi insistant, un agent immobilier envahissant, est une belle trouvaille. C'est une manière très délicate de ramener le spectateur d'aujourd'hui à l'oeuvre de Molière, peut-être difficile au premier abord.

2) Points faibles
L'attention constante sur le texte de la pièce du misanthrope rend ce récit un peu terne. Les occasions ne manquent pas, pourtant, de nous faire vivre des situations conflictuelles. Mais les intentions des personnages sont souvent assez peu nourries à l'exception des deux principaux incarnés par Luchini et Wilson, encore que. Les conflits arrivent donc souvent comme un cheveux sur la soupe. Les actions, non organiques, donnent un côté artificiel à la trame et on observe souvent que les réactions sont soit disproportionnées, soit décalées, par rapport à la réalité de nos personnages. Cela ne remet pas en cause naturellement la qualité du jeu des comédiens qui rattrape heureusement les maladresses structurelles du récit.

3) Le même scénario, réécrit
Le film est entre deux. Il ne tranche pas assez. Soit, on concède que les textes de Molière valent de réaliser une oeuvre de théâtre filmé, auquel cas il nous manque des textes et de l'immersion dans la pièce dont il est question. On aurait alors obtenu une l'Avare, comme celui joué par de Funès, ou un OVNI du type Dogville mis en scène par Lars von Trier. Soit, on considère que l'action contemporaine vaut largement les mises en situations de l'époque, et dans ce cas, il fallait renforcer ces situations et les nourrir davantage par une oeuvre plus incarnée.

Pour ne pas refaire la pièce, naturellement, il m'apparaît plus utile d’expérimenter la deuxième proposition, c'est-à-dire la version contemporaine du misanthrope. Dans ce cas, nous aurions dû connaître mieux les motivations de chaque personnage secondaire en nous permettant de participer à leurs vies sur l'île de Ré, ce qui n'a pas été le cas. Nous aurions pu recoller toutes les scènes secondaires en un fil plus probant, plus liant, plus chorale. Par exemple, la jeune actrice porno qui veut s'engager et partir à Bucarest aurait pu annoncer à sa mère, tenancière de l'hôtel, son départ. Cela aurait fait chuter la mère du chauffeur de taxi, présente à l'occasion, qui se serait cassée le col du fémur, scène choisie par les auteurs pour créer du conflit avec les deux comédiens. Chauffeur par ailleurs amoureux de l'italienne qui viendrait de le plaquer par la considération outrageuse et déplacée qu'il aurait faite de la jeune comédienne, etc, etc. Hélas, tous ces rôles existent mais sans relation aucune et sans motivation.

D'autre part, pour sortir un peu du huis clos forcé de l'île de Ré, une escapade en Italie, à Bucarest, à Paris, sur un tournage, nous aurait apporté plus d'air que celui de l'île à elle-seule, qui s'éfforce de nous divertir par des gadgets non structurels comme ces glissades répétées à bicyclette dans l'eau ou des visites répétées et impromptues d'un agent immobilier ou la sonnerie intrusive du téléphone portable.

Ce récit ne gâche pas cela dit le plaisir de voir de brillants comédiens à l'oeuvre, ni, très certainement, de redécouvrir un des plus grands classiques de la littérature française, très actuel en effet.

Arzhur Caouissin.

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